06 novembre 2018

Affinerie, Clouterie, Métiers de la Forge de Peyrassoulat, à Chéronnac (4)



             Dans les trois chapitres précédents nous avons présenté la « Forge de Peyrassoulat », à Chéronnac, dans le contexte de la métallurgie ancienne du Périgord-Limousin-Angoumois, ainsi que dans ceux de la Cartographie régionale, des Annales et des Inventaires historiques !
           
             Ce quatrième volet à pour but d'approcher et de présenter le travail de « l’Affinerie », de « la Martellerie », de « la Clouterie » et des « Métiers de la Forge », tel qu’ils ont existé au 17e , 18e et 19e siècles à la « Forge de Peyrassoulat »  !

            Les Affineries (Afinariá en Dialecte Occitan-Limousin), était des forges (Farja en Occitan-Limousin), où la fonte, issue des hauts et bas-fourneaux, était transformée en fer, comme c’était le cas à la Forge de Peyrassoulat.

            Lorsque la fonte produite dans les fonderies régionales n’était pas directement utilisée à la sortie des hauts-fourneaux pour diverses fabrications industrielles (marmites, plaques de cheminée, canons, boulets, etc), elle était coulée en lingots, appelés communément « gueuses de fonte ».

            L’Affinage consistait à retravailler la fonte pour obtenir un fer de bonne qualité.

            Les Affineries étaient le domaine des AFFINEURS (Afinaires en Dialecte Occitan-Limousin), ouvriers qui purifiaient les métaux. On trouvait au 19e siècle (1835-1878), des Maîtres affineurs, des Garçons affineurs et des Ouvriers affineurs. Ils sont évoqués par Monsieur P.-A. Beaumarchais dans « Mémoires » (T. 1, p. 198 ; 1799) : « Cette coupelle (...) où le sieur Marin fournit le charbon, et où les garçons affineurs, soufflent le feu du fourneau ». 


AFFINEURS
d’après l’ENCYCLOPÉDIE
de MM Denis Diderot (1713-1784) et
Jean le Rond d'Alembert (1717- 1783)

            La Forge de Peyrassoulat, située comme nous l’avons vu dans les précédents récits sur les bords de la Tardoire, dans la commune de Chéronnac en Haute-Vienne, était principalement une affinerie de métal, où la fonte était transformée en fer épuré. 

            Les affineurs étaient souvent secondés par des CHAUFFEURS (Caufaires en Dialecte Occitan-Limousin), ouvriers forgerons chargés de mouvoir les Soufflets de Forge * et s'occuper d’activer le feu de la forge, où le métal était porté à son point de fusion, pour pouvoir être retravaillé.

            Au 18e et 19e siècles, le métier d'Ouvrier chauffeur était couramment répandu dans la région du Périgord-Limousin.



Double soufflets de forge
d’après l’ENCYCLOPÉDIE, de MM Diderot et d'Alembert


            Le point de fusion de la fonte était assez bas, vers 1153°C, mais il était nécessaire de la chauffer à 1800°C pour la transformer en fer épuré.

            La fonte provenant de hauts-fourneaux était un alliage de fer, contenant entre 2,1 et 6,67 % de carbone. L'alternance de plusieurs phases de réchauffement et de martelage de la fonte, sous le marteau, permettait l'élimination progressive de ce carbone.

            Le poids du fer épuré obtenu, dépendait des impuretés contenues dans la fonte. Il correspondait plus ou moins au trois quarts du poids de la gueuse de fonte avant sa transformation !

            Bien que certains propriétaires de hauts-fourneaux aient possédé une ou plusieurs affineries, la plupart des gueuses de fonte produites dans les fonderies du Périgord-Limousin-Angoumois étaient retravaillées dans des forges indépendantes. Les maîtres de forge de ces affineries achetaient leurs matières premières aux fondeurs pour pouvoir ensuite les transformer dans leur propres établissements.

            Les ateliers des forges étaient généralement abrités sous des bâtiments relativement grands, où on trouvait un ou plusieurs feux d'affinage. Ces feux étaient attisés à l'aide de soufflets mus par la force hydraulique fournie par les roues des moulins.

            Les installation des forges, comme celle de Peyrassoulat, comportaient aussi des agencements annexes : la halle à charbon, le magasin à fer, la clouterie et autres magasins de stockage pour le charbon de bois
On trouvait aussi sur les sites métallurgiques du Périgord-Limousin-Angoumois des logements pour les forgerons, ainsi que les bâtiments de l’habitation du maître de forge.

            Ces ensembles qui constituaient les bâtiment des forges étaient complétés par des cours ou esplanades pour la circulation des charrettes ou tombereaux qui servaient au transport du charbon de bois, à celui des gueuses de fontes et aussi celui des produits retravaillés ou finis, qui pour la forge de Peyrassoulat étaient en premier lieu expédiés vers la Fonderie de Ruelle-sur-Touvre ou étaient destinés à la clientèle régionale.

            La Forge de Peyrassoulat comportait aussi une Clouterie, c’était le domaine du CLOUTIER (Clavelièr en dialecte de Langue-d’Oc), le fabricant de clous.

            Le cloutier exerçait son activité dans un petit atelier, entouré de ses agencements et outils, qui servaient à façonner les clous et les têtes de clous :
- une petite forge, chauffée au charbon de bois ;
- une enclume de forgeron, semblable à celle utilisée par le maréchal-ferrant, qui servait à façonner les corps des clous ;
- une enclume de cloutier, qui servait à façonner les différentes sortes de clous ;
- un petit soufflet, actionné par les rouages entrainés par la roue de la chute d’eau du bief voisin ;
- plusieurs marteaux de différentes tailles, marteaux droits et marteaux courbés ;
- des tenailles droites, des tenailles à crochets, des tenailles à bidons.

L’enclume de cloutier était composée de plusieurs éléments :
- le pié d'étape ou étapou, qui supportait la clouyère ou cloutière ou clavière ;
- la place ou pialou ;
- la tranche ;
- une lame ressort, pour éjecter le clou après le façonnement de la tête.

Outillage de cloutier,
d’après l’ENCYCLOPÉDIE, de MM Diderot et d'Alembert

            Les enclumes utilisées par le cloutier étaient posées sur des billots de bois, qui les positionnaient à une hauteur de travail appropriée, comme cela était souvent le cas dans une forge de village.

            Suivant la nature du clou à réaliser (taille et forme de la tête), le cloutier disposait d'une série de cloutières. En réalité, le nombre de cloutières utilisées était limité car le cloutier se spécialisait généralement dans la fabrication de 4 ou 5 types de clous différents.

            Le cloutier de Peyrassoulat travaillait dans un bâtiment attenant à la forge. C’est d’ailleurs paradoxalement le bâtiment dont les ruines sont encore le plus reconnaissables aujourd’hui, tout comme celles de la maison du maitre de forge.

            Un cloutier expérimenté forgeait, selon leurs tailles, entre cinquante et cent clous par heure. Ce métier était relativement pénible, les cloutiers travaillant douze à treize heures par jour, cela demandait une certaine force physique ainsi que de l’habileté. Une fois forgés, les clous étaient revendus aux marchands ou fabricants, ce que l’on appellerait aujourd’hui des grossistes, lesquels en assuraient la commercialisation.  

            Les clous fabriqués à Peyrassoulat étaient principalement destinés à une clientèle locale et régionale, bien que cette production ait aussi vraisemblablement été distribuée par les marchants de fer.  

            Les équipements et le personnel des affineries étaient variables selon leur importance.

            Ce qui caractérisait le plus les sites des forges, installées sur les cours des rivières, en aval des barrages, ou sous les déversoirs des grands étangs de la région du Périgord-Limousin-Angoumois, étaient les biefs ou chenaux des moulins à eau qui fournissaient la force motrice.

            La force hydraulique fournie par la Tardoire permettait d’actionner les marteaux, ou MARTINETS * de forge. 
Les Martinets de forge, pouvaient atteindre plus de 500 kg, et étaient mués par une roue à cames, ou un cylindre en bois munis de bras de levage, qui tournait grâce à l’énergie transmise depuis les mécanismes des roues à aubes du moulin. Les cames ou les bras de levage rythmaient, en tournant, la cadence du martinet de forge. Selon le débit de l'eau, le marteau pouvait retomber une centaine de fois par minute sur la grosse enclume qui pesait souvent plusieurs centaines de kilos. 


MARTINET de forge au XVIIIe siècle, d’après l’ENCYCLOPÉDIE
de MM Denis Diderot (1713-1784) et Jean le Rond d'Alembert (1717- 1783)



            Cette industrie métallurgique locale, qui restait cependant très artisanale sur le plan technique, avait entrainé le développement de nombreux métiers dont certains sont aujourd’hui oubliés ou disparus.

            Le BÛCHERON (Boscassièr ou Boscatièr en Dialecte de Langue-d’Oc) était un professionnel de la coupe de bois, généralement celle des taillis et forêts de châtaigniers, qui ont fait prospérer les métiers de bûcherons et de charbonniers dès le 16e siècle dans la région du Périgord-Limousin. Les agriculteurs exerçaient aussi souvent ce type d'activité pour tirer un revenu des forêts qu'ils géraient directement ou pour le compte d’un propriétaire terrien.

            Le CHARBONNIER (Charbonié en Dialecte Occitan-Limousin) fabriquaient non seulement le charbon de bois mais se chargeait aussi de le livrer dans les halles à charbon des forges, qui en étaient grandes consommatrices.

            Les transports, de la fonte, du charbon de bois, et autres produits, indispensable à la bonne marche de la Forge, étaient souvent effectués par des attelages tirés par des bœufs.

            Ces derniers étaient menés par le BOUVIER (Boièr en Dialecte de Langue d’Oc), ou le CHARRETIER (Carratier en Ancien Occitan) qui conduisait un attelage tracté par des animaux venus principalement des exploitations agricoles du voisinage.

            Le ROULIER ou VOITURIER (Veiturèr ou Carretièr en Dialectes de Langue d’Oc) conduisait les produits finis vers la Fonderie de Ruelle-sur-Touvre ou vers le Port de l’Houmeau à Angoulême où ils étaient chargés sur les bateaux et les gabares des GABARIERS, qui étaient les maitres du transport fluvial sur la Charente.

            L’activité des forges venait en règle générale compléter l’économie locale, bien que la main-d’œuvre directement employée ait été limitée à quelques hommes sur la plupart des sites métallurgiques du Périgord-Limousin-Angoumois.

            Tous les métiers de la forge étaient relativement pénibles. Les ouvriers forgerons devaient avoir une certaine force et résistance physique pour supporter le dur travail avec le marteau, le transport de lourdes charges, les températures dans la forge et les désagréments causés par les émissions de fumées sortant des creusets chauffés au charbon de bois, sans oublier le bruit incessant des rouages du moulin et du marteau sur l’enclume.

            L’ensemble du personnel de la forge dépendait du maître ultime : 
le FORGERON (Faure en Dialecte Occitan-Limousin) appelé aussi MAÎTRE de FORGE lorsqu’il exerçait lui même la gestion du site !

            Cette profession était connu dans les pays de Langue-Oïl sous le surnom de FÈVRE, et sous celui de FAURE ou FABRE, dans les pays de Langue-d‘Oc.

            Le nom de famille Faure se rencontre beaucoup en Périgord-Limousin-Angoumois. FAURE, est un mot d’origine occitane, issu du latin Faber, il désignait ainsi le principal ouvrier de la forge, tout autant que le forgeron artisanal du village.

            Vers le milieu du 18e siècle, suite aux demandes spécialisées de l’artillerie de marine, l’évolution des ateliers artisanaux de la petite métallurgie, qui avait été la caractéristique des forges rurales du Périgord-Limousin-Angoumois, conduisit à la création d’établissements industriels de grande dimensions. Le plus important d'entre-eux a été le site industriel de la « Fonderie de Ruelle-sur-Touvre », en Angoumois, fondée par le Marquis René, Marc, de MONTALEMBERT en 1750-1751 et dont l'activité s'est maintenue de 1753 jusqu'à nos jours.



Petit Lexique:
* Le Soufflet de forge était le complément indispensable de la forge, du bas-fourneau ou du haut-fourneau. Il permettait d'atteindre les températures suffisantes pour faire fondre ou travailler le fer. Dans une forge, les roues des moulins étaient utilisées pour actionner des soufflets hydrauliques qui entretenaient les fours. Le métal devant subir une chauffe régulière pour pouvoir être travaillé.

Orientation bibliographique :
            « Les forges limousines à la fin du XVIIIe siècle », par Paul DUCOURTIEUX D (1846-1925), dans le Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin ; Tome LXXI ; Édition de 1926.

            « L'ancienne industrie du fer dans le Périgord septentrional », par René PIJASSOU ; Publié dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 27, fascicule 3 ; pp. 243-268 ; Publication : 1956.

            « Les anciennes forges de la région du Périgord », par E. PEYRONNET ; Édition : Delmas ; Publication : 1958.

            « Les Anciennes Forges du Bassin de la Tardoire » ; par Mme Fils DUMAS-DELAGE ; Publication : « Autour d'Écuras - Journal d'Histoire locale, monuments, folklore - N° 6 ; Avril 1991.

            « Dictionnaire des Vieux Métiers – 1200 métiers disparus ou oubliés » ; par Paul REYMOND ; Édition : BROCELIANDE, Paris ; Publication : 1994.

            « Les Forges de l’Angoumois à travers l’histoire des Forges de Pont Rouchaud, à Roussines, Charente » ; par Jacky RABION ; Édité par : Histoire Passion ; Publication : 2009. 

            « Fiche technique sur les Forges de la Haute-Vienne » ; Glossaire du Haut-Fourneau - Le Tour de France des départements vus sous les aspects minier et sidérurgique ; Édition : Association « Le Savoir Fer » ; Publication : 2017.


Cette publication sur « Les Forges anciennes en Périgord-Limousin-Angoumois * » a été initiée par l’association « Les Amis de Saint-Eutrope et des Sources de la Charente ».
Auteur : J-L.E. Marcillaud ©
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