18 juillet 2012

Prague et cimetière de Vyšehrad : hommage au lieutenant Ivan Spaniel !

Panorama de Prague
Il est des déplacements qui évoluent au fil du temps qui passe et, bien que le but initial ne soit pas désavoué, le hasard fait que le voyageur découvre l’inattendu à deux pas de ce qui était à l’origine l’aboutissement d’un voyage initialement très ordonnancé.



Il en fut ainsi d’une visite effectuée dans une métropole d’Europe centrale chargée d’histoire, la ville de Prague (Praha), capitale de l’actuelle République Tchèque (Česká Republika), par votre serviteur au printemps dernier.

Le hasard des découvertes transforma une réunion technique et professionnelle en une sorte de pèlerinage à la rencontre posthume de héros, issus d’un passé vieux de près de soixante années, où se forgea l’Europe d’aujourd’hui et auxquels ma génération doit une part de sa liberté.
Stand au «SAP Congres» à Prague
Ma présence dans la ville de Prague n’avait en principe rien d’une villégiature, même si en ce mois de mai 2012 le baromètre  était au beau fixe et les températures plus proches de celles de la saison estivale que des moyennes printanières. Je  devais alors participer à un congrès ayant pour thème principal les nouvelles potentialités technique d’un progiciel de gestion intégrée, communément dénommé SAP ERP en jargon informatique, et ses différentes applications.

Le Centre de congrès de Prague (Kongresové centrum Praha), lieu choisi par les organisateurs, était situé au sud du centre historique de Prague et jouissait d’une vue exceptionnelle sur une partie de la ville ancienne, en présentant aussi l’avantage d’être très proche de la Forteresse de Vyšehrad.

Vue de Vyšehrad
Le site de Vyšehrad (littéralement « Château haut » en tchèque), est caractérisé par des murailles imposantes, témoins de la transformation en forteresse de l’ancien château du Moyen-âge. Au hasard de sa promenade le visiteur est surpris par les bastions hauts perchés et des bâtiments remodelés à différentes époques de l’histoire du site, dont les plus anciennes constructions datent du 10e siècle.

Porte Leopold (Leopoldova brána)
Parmi les témoins de l’histoire de Vyšehrad il est encore possible de découvrir la Porte Tabor (Táborská brána), qui date du 17e siècle et s’ouvre sur le quartier de Pankrac, la Porte Leopold (Leopoldova brána), de style baroque construite aux alentours de 1670, la Rotonde romane dédiée à Saint-Martin (Rotunda svatého Martina), édifiée à l'origine vers 1100, ainsi que les restes d’un des châteaux fort éponyme de la ville de Prague, construit à l’origine au 10e  siècle sur une colline qui domine la vallée de la Moldau (Vltava) dans sa traversée de l’agglomération praguoise.

Saints-Pierre-et-Paul, Vyšehrad
La colline et la forteresse de Vyšehrad sont dominées par les clochers de l’église paroissiale, et Collégiale, Saints-Pierre-et-Paul (Kapitulní chrám Svatého Petra a Pavla). C’est l’une des plus anciennes églises de Prague, elle fut fondée par le Prince Vratislav II vers 1070. L’église actuelle date pour la plus grande partie de la seconde moitié du 19e  siècle, de style néogothique, elle est l’œuvre de l’architecte Josef Mocker (1835-1899), les flèches des deux clochers ont été construites en 1903.

Ce qui caractérise plus particulièrement le site de la Forteresse de Vyšehrad  est incontestablement le Cimetière national (Vyšehradský hřbitov), dominé en son centre par le caveau et Monument Slavin.

Ce cimetière remarquable fut établi en 1869 aux abords immédiats de la Collégiale Saints-Pierre-et-Paul, il est connu pour regrouper les tombes de nombreuses personnalités d’origine tchèque, peintres, compositeurs, sculpteurs, militaires, scientifiques, hommes politiques, sportifs et leurs familles.


Rotonde romane Saint-Martin
(Rotunda svatého Martina)

Les compositeurs classiques Bedřich Smetana (1824 – 1884) et Antonín Dvořák (1841 – 1904), les violonistes et compositeurs Ferdinand Laub (1832 – 1875) et František Ondříček (1857 – 1922), les poètes et écrivains Jan Neruda (1834 – 1891) et Jaroslav Vrchlický (1853 – 1912), le sculpteur et architecte Josef Václav Myslbek (1838 – 1922), la politicienne, combattante de la résistance tchèque et féministe Milada Horakova (1901 – 1950), le lauréat du prix Nobel de chimie en 1959 Jaroslav Heyrovský (1890 – 1967), l’actrice et écrivain Olga Scheinpflugová (1902 – 1968), la patineuse artistique, championne d'Europe et médaillée olympique en 1968 Hana Maskova (1949 – 1972), de même que l’acteur Vlastimil Fisar (1926 – 1991), reposent entre autres à Vyšehrad.

En amoureux des arts graphique, la plaque apposée à la mémoire du peintre et illustrateur Alfons Mucha (1860-1939) ce devait de retenir mon attention dans ce cimetière national tchèque de Vyšehrad, même si son emplacement fut quelque peut difficile à localiser.

Monument Slavin, cimetière de Vyšehrad
Alfons Mucha fut l’un des précurseurs du style Art nouveau, après une longue carrière internationale, entre autre en France et aux États-Unis, il était revenu vivre dans sa ville natale vers la fin des années 30 du 20e siècle. Son grand âge ne présenta pas pour Alfons Mucha une garantie de protection suffisante car il fut l’un des premiers internés après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes de la Wehrmacht en mars 1939. Il est décédé le jour du 14 juillet 1939, officiellement des suites d’une pneumonie, en réalité peu de temps après avoir subi un interrogatoire par la Gestapo, qui s'intéressait plus particulièrement à lui du fait de son appartenance à la franc-maçonnerie.

Mais la tombe qui me surprit le plus fut celle constituée d’une sobre stèle de granit sur laquelle est fixée une croix en bois portant sur la branche horizontale la mention : « Lieutenant Spaniel Ivan ».

Sur le sommet de la branche verticale de cette croix se trouve un bandeau tricolore aux couleurs du drapeau français surmonté de l’inscription 3e RAC (difficilement lisible) sur la partie inférieure de cette croix figure l’inscription : « TOMBÉ AU CHAMP à HONNEUR à KRAFT le 30.11.1944 ».

Tombe d'Ivan Spaniel
Sur la stèle de granit grise qui constitue la partie en élévation de la tombe de la Famille Španiel, sont gravées dans la pierre sur la droite de la croix en bois les épigraphes suivantes : « NADPORUČĺk, MUC. IVAN ŠPANIEL, 23.7.1918 – 30.11.1944 »
Une médaille de grande taille est appliquée sur la pierre tombale au dessus de trois autre épitaphes qui se lisent successivement : « ČESKÝ SOCHÁR A MEDAILER, OTAKAR ŠPANIEL, PROFESSOR AKADEMIE, VÝTVARNYCH UMĚNÍ, 13.6.1881 – 15.2.1955 » - « LIDA ŠPANIELOVÁ, 7.5.1888 – 21.10.1973 » - « ZDENĚK RUDL ŠPANIEL, 19.6.1912 – 8.11.1981 »

Cette tombe du cimetière de Vyšehrad réunie, avec le lieutenant (nadporučík) Ivan Španiel, son père Otakar Španiel, sculpteur et médailleur tchèque renommé, sa mère Lida Rudlová-Španiel, ainsi qu’un autre membre de leur famille Zdenĕk Rudl Španiel.

C’est pourquoi, avant de faire plus ample connaissance avec le souvenir d’Ivan Španiel, une parenthèse s’impose pour retracer la vie de son père Otakar Španiel.

Vue du cimetière de Vyšehrad
Otakar Španiel était né en 1881 à Jaroměř au nord-est de la Bohême, il devint diplômé de l'école de la médaille de l'Académie de Vienne en 1901. Suite à ses études à l'Académie des Beaux-arts de Prague, de 1902 à 1904, il termina sa formation artistique à Paris en devenant l'élève d'Alexandre Charpentier, sculpteur, médailleur et ébéniste français.

Après cette période parisienne, Otakar Španiel retourna à Prague où il épousa Lida Rudlová, leur fils Ivan naquit à Prague le 23 juillet 1918. Entre temps, Otakar Španiel était devenu professeur à l'École des Arts Appliqués de Prague, en 1917, il devint au début de 1920 professeur à l'Académie des Beaux-arts. Fondateur de l'École tchécoslovaque de médailles il est aussi le créateur de la Médaille Interalliée 1914-1918 pour la Tchécoslovaquie.
Il fut fait membre de l'Académie des Sciences tchèque en 1927 et est l'auteur de la première pièce de monnaie de la République tchécoslovaque indépendante.

Otakar Španiel réalisa, entre 1920 et 1939, de nombreuses sculptures que l’on peut voir encore aujourd’hui dans Prague, tel une partie de la décoration de la porte de la façade ouest de la Cathédrale Saint-Vitus (Katedrála svatého Víta).
Tombe de Vlastimil Fisar,
cimetière de Vyšehrad
Pendant l'occupation nazie, Otakar Španiel a été emprisonné en 1942 dans le camp de concentration allemand de Svatobořice, plus connu sous le nom de code « Polaris-Centrum », situé en Moravie-du-Sud, dans ce qui était alors le Protectorat de Bohême-Moravie.

Après la Seconde Guerre Mondiale, Otakar Španiel reprit son œuvre de médailleur et fut le concepteur de la première série des pièces de la de la République Tchèque d’après 1945.

Lauréat du Prix d'Etat, artiste distingué, il remporta plusieurs grands prix lors d'expositions internationales, une rue et une école élémentaire de Prague porte son nom.

La tombe familiale du cimetière de Vyšehrad est l’une des dernières œuvres d’Otakar Španiel.

Ivan Spaniel, dont le nom est aussi orthographié Ivan Španiel en langue tchèque ou Yvan Spaniel en français, était né à Prague le 23 juillet 1918. Comme nous l’avons déjà remarqué, il était le fils d’Otakar Španiel et de Lida Rudlová- Španiel.
Porte Tabor, Vyšehrad
Ivan Spaniel vécut une enfance praguoise relativement heureuse, à une époque où la Tchécoslovaquie indépendante n’était pas encore convoitée par les grandes puissances environnantes. Il devint étudiant en médecine à l'université Charles de Prague, puis s’en alla poursuivre ses études à Paris.


Ivan Spaniel résidait en France au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les forces armées de l’Allemagne Nazie en mars 1939.


Suite à cette invasion qui correspondit à la disparition de la Tchécoslovaquie indépendante et à la création du Protectorat de Bohême-Moravie, directement placé sous administration militaire allemande, il lui fut quasi impossible de rejoindre son pays natal.

Après la déclaration de guerre faite à l'Allemagne par le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la France, le 3 septembre 1939, en réaction à l’invasion de la Pologne le 1er septembre 1939 par les forces armées de l'Allemagne nazie, Ivan Spaniel se fit incorporer comme engagé volontaire dans l’armée française, au Camp militaire d'Agde, au début du mois de septembre de cette même année. Il fut désigné pour servir dans l’artillerie française et suivra en 1940 l'instruction militaire à l’École des officiers d'artillerie de réserve à Poitiers.

Quartier de Pankrac, Prague
Suite à l'occupation de la France par l’Allemagne Nazie, conséquemment à la défaite militaire française et à la signature de l’Armistice franco-allemand le 22 juin 1940, Ivan Spaniel refusera de se conformer aux directives de déposer les armes, comme l’avaient ordonné les autorités françaises favorable à la collaboration avec l’occupant. Il quittera la France à bord d'un voilier, pour débarquer d'abord au Portugal, puis il transitera par Casablanca, avant d'arriver en Grande-Bretagne en voyageant dans un navire à charbon.

Le 16 octobre 1940, après avoir rejoint l'Angleterre, il s’engageait dans les unités du mouvement FFL (Forces françaises libres) qui devaient continuer la lutte armée contre l’Allemagne Nazie, hors de la France métropolitaine.

La Moldau (Vltava), Prague
En 1941, promu au grade d'adjudant des FFL, Ivan Spaniel débarquait sur les côtes africaines et allait rejoindre les troupes FFL, placées sous le commandement du Général Leclerc, qui exerçaient des raids tactiques en Lybie, en partant des bases militaires françaises au nord du Tchad.
En 1942, il dirigeait une batterie d'artillerie motorisée des FFL et s'illustrait lors de la prise de la Forteresse de Gatroun dans la zone du Fezzan en Libye.

En 1943, Ivan Spaniel participait à la campagne menée par le général Leclerc dans le Sahara et en Tunisie. Il sera présent lors de la prise de l’oasis d’El-Gatrun, puis de celle de l’oasis d’Uum-el-Araneb, au sud-ouest de la Lybie. Suite à ces victoires militaires en Lybie, les forces armées FFL se joindront à la 8e Armée anglaise commandée par le général Montgomery et contribueront en mars 1943 aux opérations d’attaque puis de contournement de la Ligne Mareth au sud de la Tunisie, Ivan Spaniel sera alors promu au grade de sous-lieutenant.

Tombe de Bedřich Smetana,
cimetière de Vyšehrad
En mai 1944, comme toutes les troupes constituant la 2e Division blindée des FFL (2e DB) , commandées par le général Leclerc, Ivan Spaniel, sera transporté d’Afrique en Grande-Bretagne et restera en juin et juillet en Angleterre, en préparation des opérations sur le front occidental.
Après une période d'entraînement au Camp de Sledmere, dans la région du Yorkshire de l'Est, le 1/3 RAC, dont dépend désormais Ivan Spaniel, débarque le 1er août 1944 à Utah Beach et participera, comme unité rattachée à la 3e Armée US du Général Patton, aux combats en Normandie.

Ivan Spaniel s’illustrera à plusieurs reprises au commandement du Groupe d'Observation de la 3e Batterie de Tir, du 1er Groupe du 3e Régiment d'Artillerie Coloniale (1/3 RAC), placé sous les ordres du Commandant Fieschi.

Au sein de la 2e DB, le 1/3 RAC formait l'Artillerie du Groupement Tactique Dio (GTD).
Le 13 août 1944, la 3e  Batterie du 1/3 RAC entrait en tête des unités de la 2e DB à Carrouges, dans le département de l’Orne, où elle s’illustrait en tirant près de 260 coups de canons, permettant de mettre en déroute le bataillon de reconnaissance de la 2e   Panzer-Division allemande.

Le 3e RAC figure aux premiers rangs des unités de la 2e DB qui pénètrent dans Paris en août 1944.
Ivan Spaniel contribuera, avec son unité, à repousser la contre-attaque allemande dirigée les 28 et 29 août 1944 sur le secteur du Bourget. L’échec de cette contre-offensive permit de chasser définitivement les troupes allemandes cantonnées dans la banlieue nord de Paris.
Suite à la libération de Paris et devant l’avance des forces alliées anglo-américaines et française en France, la 2e  DB fut envoyée en direction des Vosges et de l'Alsace.

Saints-Pierre-et-Paul
et cimetière, Vyšehrad
Lors de l'avance dans les Vosges, la 3e Batterie de Tir du 1/3 RAC, dont dépendait le lieutenant Ivan Spaniel, détruisit une formation d'artillerie allemande et fit prisonniers les soldats ennemis servant les batteries de canon. Pour ses mérites Ivan Spaniel sera fait Chevalier de la Légion d'honneur et est décoré de la Croix de Guerre.

Le 24 novembre 1944, Ivan Spaniel participe avec le 1er Groupe du 1/3 RAC à la libération de Strasbourg, en y entrant avec les éléments de tête de la 2e DB.

Après la libération de Strasbourg les combats continuent en Alsace, le 29 novembre 1944 le 1/3 RAC est positionné à Krafft, village proche de Erstein au sud de Strasbourg, où il effectue des tirs d'interdiction sur le village de Plobsheim, situé entre l’Ill et le Rhin.
Dans la soirée du 29 novembre 1944  les batteries de l’artillerie Allemande répliquent violemment et arrosent le village de Krafft d’une pluie d’obus. Ivan Spaniel sera tué dans son sommeil lors du bombardement par l’artillerie allemande d'une maison située tout près du pont sur l’Ill, proche du confluent avec le canal du Rhône au Rhin.

Ivan Španiel
La fiche de décès d’Ivan Spaniel fut ainsi rédigée par les autorités militaires françaises :
« Nom : SPANIEL, Prénom : Yvan
Date de naissance : 23-07-1918 ;
Commune de naissance : Prague ; Département ou pays de naissance : Tchécoslovaquie ;
Grade : Sous-lieutenant ;  Unité : 3e RAC ;
Mention : Mort pour la France ;  Date de décès : 30-11-1944 ;
Commune de décès : Kraft ; Département ou pays de décès : 67 - BAS-RHIN ;
Cause du décès  : Tué par éclat d'obus ; Statut : militaire. »

Ivan Spaniel a été promu lieutenant à titre posthume et décoré à ce même titre de la Croix de Guerre française avec Palme. Il fut également décoré à titre postume de la Médaille pour bravoure face à l'ennemi, décernée par le gouvernement tchèque.
En 1945, un tank participant au défilé de la victoire à Paris sera baptisé de son nom.
En 1947, les cendres d'Ivan Spaniel retournèrent à Prague pour être déposées dans le caveau de famille au cimetière national de Vyšehrad.

Pont Charles, Prague
Rappelons, pour finir ce périple historique et mémoriel, que de nombreux tchèques ont combattus dans les armées alliés et s’opposèrent ainsi à l’occupation par l’Allemagne nazie de leur pays d’origine.
Ce sont en total 128 jeunes hommes d’origine tchèque qui ont donné leurs vies dans les forces armées françaises entre 1939 et 1945. Ils contribuèrent à libérer du joug nazi l’Europe occidentale et la France, mais ils n’eurent pas tous la reconnaissance qui fut témoignée à juste titre à Ivan Spaniel !