23 décembre 2010

Temps de l'Avent et de Noël : fresques des Salles-Lavauguyon, en Limousin-Périgord

            Aux confins de l'Ouest du Limousin, au Nord du Périgord et à l'Est de l'Angoumois, à distance égale des cités historiques de Limoges et d'Angoulême, dans le Parc Naturel Régional Périgord-Limousin, le département de la Haute-Vienne et l'actuelle région Nouvelle Aquitaine, le bourg des Salles-Lavauguyon peut s'enorgueillir d'avoir su conserver au travers des siècles un monument aussi étonnant que son l’église prieurale, remarquable tant par son architecture que par ses peintures murales du milieu du 12e siècle !

            Les fresques romanes exceptionnelles, datées du XIIe siècle, de l’église prieurale des Salles-Lavauguyon, peuvent être considérées parmi les plus exceptionnelles d'Europe. 

            Cette église romane, dont l'origine remonte à l'an 1075,était autrefois dédiée au double vocable de Saint-Eutrope, premier évêque de Saintes dont le nom est lié à deux bonnes fontaines proches du sanctuaire roman, et à celui de la Vierge Marie mère de Jésus, dont la vénération était autrefois importante dans l'ancien diocèse de Limoges. 


            Les sujets des fresques romanes de la prieurale des Salles-Lavauguyon sont inspirés de la thématique du mystère de la Rédemption du genre humain (délivrance du pêché originel selon la tradition biblique). Ils juxtaposent des représentations peintes des versets de l'Ancien Testament, ainsi que de quelques versets emblématiques du Nouveau Testament, combinés avec des représentations hagiographiques de plusieurs vies de saintes femmes et de saints hommes du début de la Chrétienté en Occident.

Registre des fresques des Salles 
lié au Temps de Noël


            Pendant le Temps de l'Avent et la période de Noël, où sont célébré la venue et la naissance de Jésus de Nazareth, se sont les fresques représentant l'Annonciation, la Nativité de Jésus, l'Annonce faite aux bergers et l'Adoration des mages, qui retiennent le plus l'attention des historiens, des spécialistes de l'art  médiéval et de tous les passionnés d'art roman. 

            Les chanoines commanditaires des fresques et les fresquistes, réalisateurs de cette iconographie historique datée du deuxième quart du XIIe siècle, ont sans aucun doute voulu marquer les visiteurs et les fidèles par la représentation vivante de ces épisodes inspirés principalement du Nouveau Testament. Leur ressemblance avec les images ou enluminures des livres illustrés du Moyen-âge renforcent la fonction éducative de ces fresques romanes. 

            Dans l'église romane des Salles-Lavauguyon, la fresque de l'Annonciation faite à Mairie représente celle-ci comme une jeune femme surprise par l'annonce qui lui est faite par l'Archange Gabriel de sa maternité surnaturelle.

            Face à l'Archange Gabriel, dont l'image est malheureusement endommagée dans la seconde moitié de la fresque et dont on ne voit que les ailes, Marie est personnifiée posant à la fois une main sur son abdomen et l'autre main sur son cœur et son sein gauche. Ce geste symbolise l'acceptation de la nouvelle de la conception « par la vertu du Saint-Esprit » de cet enfant auquel elle donnera le nom de Jésus.

Marie dans la Fresque de l'Annonciation


            Cet évènement est décrit dans l'Évangile selon Luc (1, 30-31: « Mais l’ange lui dit : « Ne crains point, Marie ; car tu as trouvé grâce devant Dieu. Et voici, tu deviendras enceinte et tu enfanteras un fils, et tu lui donnera le nom de Jésus. » 

            Ceci est aussi évoqué  l'Évangile selon Matthieu (122-23: « Tout cela arrivera afin que s'accomplît ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils et on lui donnera le nom d'Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous. »

            La référence au prophète, évoquée dans le texte de Matthieu, se trouve dans l'Ancien Testament, et le livre du prophète Ésaïe (7, 14) : « C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe; Voici, la vierge deviendra enceinte et enfantera un fils; Et, elle lui donnera le nom d'Emmanuel. »

            Cette évocation d'une naissance miraculeuse se retrouve aussi évoquée dans le Coran (Sourate Al-Imran 45) : « Quand les Anges dirent :  Ô Mariam, voilà que Dieu t'annonce une parole venant de lui : son nom sera « al-Masih », « Hissa », fils de Mariam, illustre ici-bas comme dans l'Au-delà, et du nombre des  plus rapprochés de Dieu ».

            Dans un registre inférieur, la fresque représentant la Nativité de Jésus est à la fois fidèle au récit évangélique de Luc (2, 1-7, 12 et 16) et aux traditions chrétiennes des premiers siècles du christianisme, puisque Marie et son nouveau né accompagnés de Joseph, époux de celle-ci, sont représentés en présence d'un bœuf roux et d'un âne de couleur grise proches d'une mangeoire dans laquelle est couché l'enfant sur lequel Marie sa mère, alors que Joseph, le père adoptif de Jésus, se tient légèrement en retrait. 


Ange de l'Annonce faite aux bergers

La représentation picturale de l'Annonce faite aux bergers, fidèle à l'évangile selon Luc (2, 8-20), est dominée par le personnage de l'Ange annonciateur, elle est d'autre part caractérisée par l'image d'un troupeau de mouton auquel se mêle une grande chèvre noire au cornes ocres-jaunes qu'accompagnent les bergers munies de houlettes, battons de pastoureaux à l'extrémité courbée.

Houlettes des pastoureaux


La fresque de l'Adoration des Mages, conforme à l'Évangile selon Matthieu (2, 1-12) et à la tradition de l'Épiphanie, représente Jésus sur les genoux de sa mère Marie, qui le teint à bout de bras.
Elle même est assise sur un grand siège en forme de trône. Jésus n'est pas représenté comme un nouveau né, mais comme un tout jeune enfant. Les Mages, au nombre de trois, lui apportent des offrandes protégées par des tissus, de l'or, de l'encens et de la myrrhe, selon la tradition testamentaire.


L'Adoration des Mages

Sur le mur dominant l'arc de pierre couvrant le bas côté sud de la première travée de la nef une grande fresque représente le Massacre des Innocents, conformément au texte de l'Évangile selon Mathieu (2, 16) : "Alors Hérode, voyant qu'il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléhem et dans tout son territoire, selon la date dont il s'était soigneusement enquis auprès des mages." La fresque du sanctuaire des Salles-Lavauguyon représente par de nombreux détails les enfants martyrs et leurs bourreaux.

Si les fresques romanes de la nef de l'église des Salles-Lavauguyon sont le symbole de l'importance donnée au Moyen-âge à l'interprétation imagé des épisodes du Nouveau Testament relatif à la naissance de Jésus, il est aussi important de rappeler que leur figuration s'inscrit dans le désir des chanoines du prieuré d'accaparer l'attention des fidèles et des visiteurs du sanctuaires afin de supplanter les traditions païennes.

Car la célébration de la Fête de Noël au mois de décembre remonte à l'an 351, année où le pape Libère aurait institué la Fête de la Nativité à Rome le 25 décembre, date proche de la Fête païenne du solstice d'hiver.

Les moutons et la chèvre de l'Annonce faite aux bergers

Certaine Eglises orthodoxes, ainsi que les catholiques de rite byzantin, qui ont conservé l'usage du calendrier " julien " (introduit par Jules César), célèbrent la fête de Noël le septième jour de janvier du calendrier civil.
L'éphéméride du calendrier " julien " comporte en effet 13 jours d'écart par rapport au calendrier " grégorien " (institué par le pape Grégoire XIII au XVIe siècle) ce qui fait que le 25 décembre " julien " correspond traditionnellement au 7 janvier du calendrier civil occidental.

Les Églises protestantes et réformées célèbre aussi Noël le 25 décembre du calendrier civil. C'est la tradition protestante qui a contribué à l'utilisation du sapin décoré pour célébrer Noël en remplacement de la Crèche comme c'est le cas dans la tradition catholique.

L'Épiphanie, fête chrétienne lors de laquelle est célébrée la visite des mages à l'enfant Jésus, a lieu traditionnellement le 6 janvier. Dans certains pays, comme en France où ce jour n'est pas férié, la célébration liturgique de la fête est reportée au deuxième dimanche après Noël, en vertu d'un indult papal.

07 mai 2010

Pèlerins et dévotions, symboles de prospérité pour la prieurale des Salles

La prieurale des Salles était au Moyen-âge ce que l'on peut appeler une église de pèlerinages, car elle accueillait de nombreux fidèles venu faire leurs dévotions à la bonne fontaine voisine du sanctuaire, dans l'espoir que ces eaux salutaires apportent soulagement et guérison de leurs douleurs.








La situation de cet établissement canonial (puisque il était tenu par des chanoines) sur un itinéraire secondaire reliant deux grandes routes de pèlerinages vers Compostelle, à presque mi-chemin entre Poitiers et Périgueux, a contribué à donner une importance indéniable à la communauté ecclésiastique des Salles.
Car il y avait autant de chemins pour arriver au sanctuaire galicien de saint Jacques le Majeur, en passant par les grands sanctuaires de pèlerinages aquitains, qu'il n'y avait de pèlerins.
Ceux venu du Nord et de Paris, qui avaient parcouru la Via Turonensis (Voie de Tours) jusqu'à Poitiers et voulaient rejoindre la Via Lemovicensis (Voie Limousine) plus au sud, se devaient de prendre un chemin de traverse pour rejoindre Périgueux.
Ces marcheurs vers Compostelle quittaient la route de Saintes à la hauteur de Ligugé et se dirigeaient vers le sud-est par la Via Pictavina (aussi appelée "Grand Chemin de Poitiers à Charroux").
Ils devaient parcourir une étape d'environ 16 lieues et demie (53,6 km) pour rejoindre la capitale du comté de la Marche.
Après avoir fait leurs dévotions en la puissante abbaye bénédictine de Charroux, fondée sous Charlemagne par Roger vicomte de Limoges et consacrée au Saint Sauveur, ils reprenaient leur cheminement vers le sanctuaire pétrocorien en suivant principalement le tracé de l'ancienne voie romaine de Poitiers à Périgueux, appelé "chemin ferré".
Cette voie antique réutilisée au Moyen-âge passait par la Péruse, croisait dans la paroisse de Suris, au lieu dit les Chaussades, la Via Agrippa (ancienne voie romaine de Saintes à Lyon) et se dirigeait, après avoir traversé la haute vallée de la Charente, vers le petit sanctuaire de Verneuil, dédié comme Charroux au Saint Sauveur.
Les pèlerins ne pouvaient, après cette longue étape de près de 18 lieues (58 km), que faire halte au sanctuaire des Salles.

La prieurale romane des Salles offrait toutes les caractéristique d'une église refuge pour les voyageurs qui ne devaient pas manquer d'y passé la nuit, les bas côtés de la nef servant de dortoir aux pèlerins.
Au petit-matin la nef de l'église était nettoyée après le lever des pèlerins et une messe à leur attention était célébrée sur un autel portatif installé dans la quatrième travée. En est pour preuve la croix de consécration romane peinte sur la voute de la travée de la nef qui précéde le chœur du sanctuaire, quant-à lui réservé aux offices de la communauté de chanoines.
Nous retrouvons ce genre de disposition hospitalière en l’ancienne église abbatiale de Puypéroux, au sud de l'Angoumois, situé comme le sanctuaire des Salles sur un chemin de pèlerinage secondaire, celui-ci reliant Angoulême à Aubeterre-sur-Dronne.

Le phénomène d'étape sur un itinéraire secondaire de pèlerinage est attesté pour l'église des Salles, ne serait-ce que part les différentes influences architecturales, tant dans sa construction que dans son décors sculpté, et surtout dans les détails des peintures à la détrempe du premier étage du bâtiment de la salle-capitulaire dont la symbolique est incontestablement d'inspiration hispanique.
Depuis le bourg des Salles, qui fut en son temps à la fois le chef-lieu de la paroisse des Salles-Lavauguyon, maison mère de la communauté de chanoines des Salles et étape sur un chemin de  pèlerinages, les marcheurs reprenait leur cheminement vers le sud, en passant par Maisonnais-sur-Tardoire et Reilhac, ce dernier village ayant été le siège d’une commanderie des Templiers, ils rejoignaient ensuite Nontron où se trouvait autrefois un hôpital des pèlerins, puis la grande abbaye Saint-Pierre de Brantôme, fondée traditionellement comme celle de Charroux sous le règne de Charlemagne, où ils faisaient étape après avoir parcouru à nouveau une distance de près de 16 lieus (51 km) depuis Les Salles.
Il restait enfin aux pèlerins, suite à un arrêt à l'abbaye Notre-Dame de Chancelade, à regagner le sanctuaire de la cathédrale Saint-Front de Périgueux.

Il n'y a donc rien d'étonnant lorsque l'on observe attentivement la thématique, la symbolique, l'originalité, la composition et l'inspiration des œuvres picturales et sculpturales que l'on peut découvrir dans l'église et l'ancien prieuré du bourg des Salles-Lavauguyon que l'on soit emmené à penser que les chanoines des Salles aient pu aussi être des grands voyageurs doublés de pèlerins curieux et inspirés.

Frère Édouard a repris depuis quelques années cette tradition de pèlerinages, expression d'une démarche mystique personnelle.
C'est ainsi que votre guide sur les chemins de l'histoire c'est mis en route, reprenant son bâton de pèlerin sur les chemins et les voies menant vers des sanctuaires de pèlerinages très divers en Europe et même en Amérique Latine.

Je me propose de vous faire profiter de mes expériences, mais après cette longue explication je présume qu'il est bon de marquer une halte, à bientôt donc vers un autre sanctuaire...

04 avril 2010

Les Salles-Lavauguyon : lieu cultuel du Haut-Moyen-âge aux origines gallo-romaines…

Le sanctuaire des Salles fut créé au Haut-Moyen-âge sur une éminence du relief proche d’un site de bonnes fontaines de l’ouest du Limousin, en bordure du bourg des Salles-Lavauguyon, chef-lieu de la même commune rurale Haute-Viennoise.

Cet endroit privilégié constituait un élément de soutien aux voyageurs en bordure d’un itinéraire de long parcours antique, encore utilisé au Moyen-âge, aux limites de plusieurs divisions territoriales anciennes.




L’emplacement des fontaines des Salles avait la particularité de concentrer sur un même lieu trois sources alimentées en permanence. Il était situé en limite du talweg d’un replat du relief, proche d’un affluent de la Tardoire, baptisé ruisseau de l’abbaye aux Temps Modernes. En cet endroit les voyageurs parcourant un itinéraire nord-sud étaient obligés de franchir l’obstacle d’une vallée humide par le passage d’un gué.

Ces sources, facilement accessibles, constituaient non seulement l’assurance de pouvoir puiser de l’eau potable en toute saison, mais paraissent être devenues très tôt l’objet de vénérations liées à un culte de la nature. Ces pratiques n’ont rien d’étonnant dans un territoire où l’occupation humaine est attestée dès l’époque néolithique et à l´âge du bronze.

Il est également concevable d’affirmer que les gallo-romains apportèrent un intérêt particulier au sanctuaire dont ils tentèrent de s'approprier le culte en remodelant les aménagements entourant les sources et en y ajoutant vraisemblablement un petit temple.

Les bâtisseurs du Moyen-âge qui n’étaient pas affranchi d’appréhensions superstitieuses ont intégré une sculpture d'une tête de divinité gallo-romaine sur l’un des piliers de la façade de l’église romane.

Cette marque de respect à postériori est indéniablement liée à la peur des forces naturelles et aux pratiques cultuelles supposées se rapporter aux pouvoir guérisseurs des bonnes fontaines.

La recherche d’une protection divine ou surnaturelle, sans considération d’une possible origine polythéiste, s’est perpétuée en relation avec l’attribution aux sources de pouvoirs supposés guérisseurs que l’on rencontrait dans de nombreux recoins des campagnes limousines, de même qu’en plusieurs lieux de la commune des Salles-Lavauguyon, jusqu’à une époque très récente.

Le réemploi d’un élément d’architecture antique n’est pas unique dans le sanctuaire roman des Salles, un chapiteau composite surmontant une colonnette encadrant la baie de la première travée de la nef de l’église prieurale, semble avoir une origine plus ancienne que l’édifice roman dans lequel il est enchâssée, de part sont décor de feuilles d’acanthe stylisées et la finesse de sa sculpture.

Ces références à un lieu de culte ancien nous permettent d’aborder l’un des aspects de la christianisation de ce lieu longtemps dédié à l'origine au paganisme. C’est par l’intermédiaire d’un saint personnage évangélisateur que cet endroit fut au Haut-Moyen-âge accaparé par une confrérie chrétienne.

Mais il est fort probable que le site des fontaines des Salles dédié à Eutrope, premier évêque de Saintes, dont le nom fut aussi lié au Moyen-âge à d’autres sites de bonnes fontaines dans l’espace de la Cité des Lémovices, ai été nommé du nom du missionnaire apostolique bien avant l’arrivée de la communauté de chanoines à la fin du XIème siècle.

Ce n’est pas seulement dans l’architecture du sanctuaire des Salles que nous retrouvons des références à l’antiquité, c’est aussi dans son important programme de fresques romanes du milieu du XIIème siècle que les symboles gréco-romains ou même égyptiens sont les plus facilement identifiables de par l’utilisation d’une imagerie rattaché à des épisodes et écrits mythologiques ou classiques.

Si votre curiosité est éveillée par ces propos je vous convierai bientôt à franchir ensemble les portes du sanctuaire à la recherche de la représentation des "cornes minotauresques" associées à l’énigmatique "Mérétrix", incarnant à elle seule tous les vices…
 
Mais si un bestiaire plus sage guide votre curiosité, peut-être serez vous plus inspirés par les représentations des chiens gardiens symboliques du sanctuaire
 
Si la Genèse Universelle motive votre quête, je vous inviterez à contempler le Jardin d'Éden, tel que le représentait les fresquistes de l’époque romane, endroit fantasmagorique où suite à la Création d’Adam et d’Ève, un serpent malfaisant enroulé sur le tronc de l’arbre du savoir est associé à un macaque moqueur incarnant l’esprit du mal et annonçant le renvoi du premier homme et de sa compagne hors de ce fameux et hypothétique Paradis Terrestre ...